Trouver un sens, faire sens, avoir un sens. «Trouver» peut être un résultat ou une chance, «avoir» une possession aliénable, «faire», au contraire, peut s’avérer le terrain insoupçonné d’un type de production. Faire sens, «make sens», «hacer sentido».
Le sens comme direction d’un mouvement est la forme distincte d’une action. S’il n’est pas une affaire de volonté ou de destin alors le sens n’est pas quelque chose à «trouver». Ni l’âme ni Dieu peuvent le rendre possible. S’il n’est pas non plus un bien à posséder, ni le mérite ni des moyens économiques ou culturels garantissent qu’il y ait du sens. Mais si le sens n’était pas question de «faire» alors une forme fixe serait dictée à la base de toute action, s’il n’était pas à faire il n’y aurait aucune liberté possible, pas de marge de manœuvre. Si le sens était donné d’avance il y aurait contradiction : pas de mouvement possible. Le sens comme faire se différencie des autres acceptions en ce qu’il n’impose aucune forme aux corps et qu’il n’est possédé par aucun.
Que le sens soit à faire, c’est à dire que la forme distincte d’une action soit «toujours à faire», suppose qu’elle n’est connue de son responsable qu’au moment où elle se dessine comme mouvement distinct, je pense par exemple à la trajectoire d’un oiseau. Ce n’est pas sans importance qu’on appelle «mouvement» la tendance dans l’art ou dans la politique qui marque les esprits, ou encore que le sens d’un tableau soit quelque chose plutôt à reconnaitre qu’à comprendre.


nov / 20

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Dire que le sens dans l’art n’est autre chose qu’une séduction de l’idée par la métaphore, toujours lourde de significations, implique un rapport symboliste au réel, ce qui ne peut être plus inexact.
Au contraire, le sens comme direction du signe,  suppose et du mouvement, et de la vitesse, et du rythme. Rien de plus proche du sentiment de la vie. Ce qui est à l’origine du mot - le mouvement (motio) de l’idée formant des concepts, lesquels à leur tour cherchent à épouser le réel dans une relation d’identité toujours inachevée - est solidaire d’une métaphysique qui ne fait recours à aucune consolation.



sept / 19


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Il y a ceux dont la pensée est affaiblie dans la socialisation. Ceux qui ne rêvent à la mise à nu de l’art, ne peuvent rêver à autre chose qu’à sa mise à mort. Les deux programmes ne partagent pas le même réalisme.

 

août / 19


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U N   D I S C O U R S   
E N T E N D U   
A U   L O I N


( à propos de Lontananza)




L’altération des mots isole du signe verbal la matière contemplative.
Isidore Isou écrivait, après avoir ressenti au revers du langage un abîme anti-linguistique, qu‘il y a « une valeur sonore humaine (vocale, ordinaire; non mélodique, non instrumentale) qui est formée par la démarche des bruits comme un discours entendu à distance ».

Le sens du discours participe à une circulation qui ne se laisse réduire à la totalité et qui n’abandonne pourtant l’aspiration à l’inter-subjectivité, fondement aussi bien du poétique que du politique.

Son, voix, intonation. Les mots qui défilent et suspendent un instant le contenu à communiquer, sont porteurs d’un mouvement étrange, eux mêmes portés par ce mouvement. Il ne reste qu’un sentiment langoureux qui décline : un discours entendu au loin.

Quelque chose prend la place quand le signe laisse d’être intelligible, le bruissement sourd du monde est comme par magie amplifié, sans la pompe de l’estrade.

L’artiste lui-même, s’empressant d’écrire une déclaration d’intention, connue sous le nom en langue anglaise de Statement, se souvient que l’artiste n’est pas nécessairement appelé à être un bon orateur.



mars / 19


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A V A N T   P R O P O S



« Choisir un travail sans sujet précis.
Considérer les limites de la langue, la place vaquante : ce qui est à dire.
Se représenter l’art comme expression de moyens, dont le matériau est le signe, et le sens la
             [direction du signe.
Se souvenir régulièrement de la bêtise absolue qu’est faire de l’art.
Avoir pleuré au moins une fois devant une œuvre de l’esprit.
Réduire le langage pour le prolonger ­­­–­démarche oulipienne, objectale, lettriste, dadaïste,
               [futuriste... artistique en somme.
Lire l’Histoire de l’art comme un récit de voyage.
Observer la forme des lettres et retenir les symétries.
Se prémunir devant toute nostalgie métaphysique.
Trouver dans n’importe quelle forme (alphabétique, aquatique, politique, mathématique,
                 [cartographique, architecturale) une signifiaction incomplète.
Assimiler la solitude pragmatique de la science.
Adopter l’attitude romantique du théâtre.
Dire exactement ce qu’un discours n’est pas en mesure de dire.
Regretter parfois le jardin postmoderne. »

mars / 19


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A L P H A B E T   F L O U


Quand Ed Ruscha affirme que les mots n’ont pas de taille (ou mesure) : «words have no size», il introduit l’idée du sublime à partir de l’indétermination d’une qualité formelle, une lettre prend par exemple dans l’imagination les proportions d’un bâtiment.
Rompre les contours des mots, brouiller les bords des lettres, se présente comme un ralentissement du sens à partir de la suspension d’une propriété dont l’écriture et la lecture ne peuvent s’en passer sous peine de compromettre la compréhension.

février  / 19
 

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T H É O R I E S   D U   
S E N T I M E N T



La tendance à associer l’expression du sentiment à une sorte de grognement indistinct nous vient d’une incompréhension du langage. À vrai dire l’expression est la mise en forme d’une matière qui exige d’être communiquée. Cette formalisation peut passer par la langue, par un exposé intelligible qui puisse en rendre compte.
Dans certains cas la correspondance entre les mots et le sentiment souffre d’un désajustement irréparable et l’émotion est traduite par du langage non verbal, mais une grande partie du contenu de l’émotion se déperd dans ce que certains se plaisent à qualifier comme de l’ineffable.
Or l’ineffable est le désaveu d’une expression manquée.
Ce résidu qui ne se transfère pas d’un individu à l’autre me semble revêtir soudain de l’intérêt. L’irréductible de l’émotion, aussi bien du sentiment du beau que du sublime, peut effectivement faire recours à autre chose qu’à des mots et pourtant demeurer communicable. Il s’agit là du postulat de l’inter-subjectivité, de l’inter-communicabilité du sentiment comme fondement même de nos démocraties.
À partir de ces méditations je poursuis un travail qui tisse de ponts entre le sens et le sentiment, le mot et ses ressorts : ses motivations.
Si je parle de théories du sentiment c’est qu’un signe, signal, forme ou geste, au delà d’une reconnaissance directe, fait appel à l’esprit. Nous nous trouvons dans un glissement perpétuel du sens (perceptuel) au sentiment et du sentiment au sens (sémiologie). Il se peut que le premier nous le recevions comme inscription et que le deuxième nous le produisions. Le sens d’une ogive ou d’un arc, la correspondance entre la lettre M et W, que peut-elle être au juste ? au delà de l’interprétation, il y a un appel à conférer du sens : à tracer une direction dont tout un chacun est capable sans avoir besoin d’être artiste, sans avoir besoin d’en ériger une mythologie.
Mon travail consiste donc à rendre plausible  cette opération.
Par ce moyen je déjoue le paradigme de l’artiste qu’a souvent un sens à dévoiler / expliquer du réel : quelque chose à communiquer.
Accompagner l’autre à produire du sens à partir de ce qui résiste au langage, comme l’émotion, me semble une fonction morale beaucoup plus adéquate chez l’artiste, que celle qui consiste à échafauder un discours qui dicte une manière précise de voir, d’agir ou de sentir.
L’homme comme producteur de sens, pour le meilleur ou pour le pire, est à la base de deux régimes antinomiques : celui du savoir (la science) et celui de la foi (la religion), l’art se situe comme un troisième terme en position de penser la science et de dénuder la croyance.




janvier / 19


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Considérons la question du sens comme direction.
Par des écarts, par des erreurs discrets,
j’énonce des énigmes dont la solution est insatisfaisante.
Ils font d’abord « travailler l’œil »
ils finissent par encourager la pensée à tracer une trajectoire.

Dans cette logique je me sers du langage (mots et signes)
plutôt comme des matériaux que comme des outils de communication,
et adresse par là une critique aux stratégies publicitaires
qui visent la compréhension immédiate.

Je retarde le plus possible la compréhension,
sans tomber dans le cynisme, par une difficulté supplémentaire
capable d’accorder à la pensée le temps de retrouver
les aspirations qui lui sont propres.

novembre / 18


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Q U ’ E S T - C E   
Q U ’ A X I O M A  ?


AXIOMA est le mot d’ordre contre les séquelles du discours postmoderne, la crise des discours n’est pas un état de choses mais le travail d’une pensée critique sur les rélations établies entre les choses, en l’occurrence sur le langage et ses usages. L’ensemble de la société, dans sa grande majorité, est constitué de croyants, nous le voyons dans sa manifestation grégaire lors des meetings politiques, dans les mœurs et dans les mythologies dites personnelles. Or, ces discours, même les fondamentaux affirmés par la tradition, sont loin d’être en crise. La façade se transforme il est vrai, mais la structure demeure analogue.



En tant qu’unité discrète du discours, axioma signale un degré du langage autre que le système de signes, réduit à son tour par l’idée que le langage et sa forme verbal, la langue, sont une seule et même chose, et que la lettre constitue sa plus petite unité. Toutefois nous-nous rendons compte que c’est axioma et non la lettre qui constitue l’unité discrète et que, par ordre successif, ce n’est pas le mot mais la motivation qui rassemble les axiomes dans l’expression.



Ainsi, Axioma est l’unité discrète du discours en ce qui a trait au sens, là où la lettre constitue celle qui a trait à la structure de la langue. De ces méditations nous obtenons donc ce tableau :



octobre / 18



︎